Livre de bord

Du 7 au 14 janvier 2018, Fleur de Passion a repris la mer vers l’est depuis Cebu en direction d’îles au sud de Leyte. Plus précisément celles de Palaon puis surtout Limasawa, minuscule, sur laquelle Magellan fit ses premiers pas à terre dans l’archipel philippin en mars 1521, au terme de sa traversée du Pacifique (et de son arrêt sur l’île des Larrons, aujourd’hui Guam). Au menu de cette seconde semaine de navigation dans les Visayas (et avant l’épisode du Sinulog déjà relaté): observation de requins baleines, interdiction d’écouter de la musique trop fort… et montée des 450 marches menant à la croix érigée par le navigateur portugais il y a bientôt 500.

Ile de Palaon, 8-12 janvier

Départ du mouillage dans le port de Cebu à 4h du matin en ce dimanche 7 janvier 2018. Nous avons 14 heures de navigation à faire vers l’Est pour atteindre la petite île de Palaon, à la pointe sud de l'île de Leyte. 

Le 9, nous collectons des données sur l’état de sans des coraux dans le cadre du programme CoralWatch dans le sanctuaire de Napantao, à l'ouest de San Francisco, l'un des deux villages de la côte ouest de Palaon. Nous y découvrons en particulier des coraux massifs, plus d'un mètre de surface, en bon état. Ils apparaissent plus dégradés lorsque l'on s'approche de la côte.  

L'île est connue comme lieu d’observation des requins baleines, qui viennent se nourrir de plancton tout près du rivage. Les requins ne sont pas nourris pour assurer des interactions avec les visiteurs de passage mais sont repérés par une équipe locale de plusieurs pirogues. Première expédition avec les quatre femmes à bord: Amélie, le skipper, Manon la mousse, Maurane la dessinatrice et Elisabeth la passagère. Les hommes suivront l’après-midi: Camille et Stephen les deux autres membres d’équipage, Jonas le deuxième mousse et Kader l’éducateur. Après un assez long déplacement en dinghy - car Fleur de Passion est resté ancré en face de San Francisco - et quelques instants pour scruter les eaux, notre guide rayonne : les thons sont là! Ce qui veut dire que le courant ramène le plancton vers la côte, et que donc les requins baleines ne sont pas loin! Hop, toutes à l'eau avec tuba et palmes, et voilà l'énorme animal qui passe sous nos yeux, rejoint par un plus petit. Les guides nous indiquent les passages du requin et nous le suivons à la surface pour le voir encore. Le même spectacle attend les hommes du bateau l'après-midi. 

L'escale sur Palaon est aussi l'occasion de visiter San Francisco et Pintuyan, deux villages à l'habitat traditionnel. Presque chaque maison possède une annexe construite sur pilotis en bord de mer, équipée d'un toit et de bancs pour prendre le frais et discuter agréablement. Les jardins sont très verts, fleuris et bordés d'alignements de plantes en pot.

Ile de Limasawa, 12-14 janvier

Départ le jeudi 12 janvier au matin pour une courte navigation qui nous conduit à une île encore plus petite située à quelques miles à l'ouest de Palaon mais historiquement importante : Limasawa. C'est là en effet que Magellan a mouillé pour la première fois lors de son arrivée aux Philippines au terme de sa traversée du Pacifique, qu'il a fait ériger une croix sur le plus haut sommet de l’île et qu’il y a fait célébrer une messe à terre, le jour de Pâques en mars 1521, en compagnie du roi de l'île converti au catholicisme (et qui reviendra à ses anciennes croyances dès la mort de Magellan sur l'île de Mactan le mois suivant). Grâce aux contacts sur place, tout l'équipage est cordialement accueillie par le Maire de l'île et par la responsable de la santé publique, Paula. Limasawa est considérée comme un modèle et un banc d'essai pour améliorer l'application des lois aux Philippines. Fumer dans les espaces publics, y compris les rues, est interdit (500 pesos d’amende pour les contrevenant, l’équivalent de CHF 10.-). Les casques sont scrupuleusement portés non seulement par les conducteurs de motorbikes mais aussi par les passagers, ce qui n'est largement pas le cas dans le reste du pays! Il ne faut pas faire la fête à bord après 22h, nous a avertis le maire, au même titre que la musique - radio, télé, karaoké - est proscrite à terre passé cette heure. 

Paula nous organise une excursion le lendemain qui débute par la visite du site du débarquement (présumé) de Magellan et la montée des 450 marches qui conduisent à la fameuse croix. Moment marquant pour l'équipage de Fleur de Passion qui pour le coup suit sur les traces du navigateur! Nous continuons par une excursion en motorbikes vers les plages les plus belles de l'île. A l'écart du tourisme - l'île reçoit 9000 visiteurs durant la bonne saison - la côte est préservée, l'eau transparente, c'est un lieu de détente prisé par les locaux.  

Sous un ciel plombé, nous terminons la visite par une séance de snorkeling dans une réserve au nord-est de l’île. Le samedi 13 janvier, puis mettons le cap vers Cebu toutes voiles dehors. Nous sommes de retour dans la deuxième ville des Philippines le 14 vers 7h du matin. La dernière séquence d’événements prévus va pouvoir avoir lieu, et en particulier la parade navale du Sinulog.

L’équipage de Fleur de Passion a fêté en mer la nouvelle année, lors d’une première semaine de navigation dans la partie centrale des Philippines après deux semaines d’escales à Cebu puis Mactan. Au menu, rencontres et navigation en eaux contrastées. Récit du bord.

« Ouf ! Enfin un grand bol d'air ! Après trois semaines passées à Mactan/Cebu, il était temps pour l'équipage de Fleur de Passion de reprendre la mer. Il y a certes des attraits à être "en ville" : pour les rencontres qu’on y fait lors des événements accompagnant l’escale, pour les échanges, pour les facilités aussi qu’offre le fait d’être amarré ou au mouillage pour les travaux en cours, pour l’avitaillement, etc. Mais arrive le moment où le voilier a besoin de naviguer, où l’équipage éprouve la nécessité quasi physique de sentir du mouvement sous la quille, de se ressourcer au rythme particulier de la navigation et retrouver le quotidien "normal" de l’expédition.

Alors hop! Aussi tôt Maurane embarquée (notre nouvelle dessinatrice du programme culturel Dans le miroir de Magellan), nous mettons les voiles! Nous sommes alors le 30 janvier 2017, il est 18h12 aux Philippines (11h12 à Genève), et nous sommes bien décidés à fêter la nouvelle année au calme, loin des karaokés du yacht club qui nous ont abreuvés jusqu’à plus soif pendant des jours et des jours.

Une nuit de vent arrière plus tard, nous arrivons à proximité de la baie de Tambobo, au sud de l’île de Negros. Dans la matinée, nous faisons un prélèvement d’eau de mer pour le programme Micromégas en partenariat avec Oceaneye. Il s’avère particulièrement chargé en micro-plastiques vu la proximité des côtes. Nous avons choisi de mouiller dans cette baie car elle offre le meilleur abri de la région contre les typhons. Car en cette saison, et alors que deux tempêtes tropicales ont frappé le pays avant Noël, il nous faut encore nous méfier des phénomènes météorologiques qui  peuvent se former et se renforcer très vite. Et justement, il y en a une qui a l'air de vouloir s'approcher. La baie est très profonde et étroite et abrite déjà une quarantaine de voiliers de plaisance, en plus de la nombreuse flotte de pêche locale. Au fil des années, une communauté de navigateurs venus se réfugier ici s'est sédentarisée et a pris racine dans la mangrove, partageant la vie des pêcheurs et développant de petits resorts pour les touristes de passage. Pour fêter le passage en 2018, nous passons une partie de la soirée avec une famille hétéroclite, un anglais remarié à une philippine, avec leurs enfants, les grands-parents et un ami marin japonais lui-aussi installé depuis plusieurs années.

Prochaine étape : Apo island. C'est une île coralienne de quelques kilomètres carrés réputée pour son récif, où cohabitent un village de pécheurs, de nombreux Bangkas de plongée (ces bateaux traditionnels reconvertis) et un centre d'étude des tortues marine, le LAMARVE (LArge MARine VErtebrate) Research Institut, une ONG avec qui nous avions pris contact à Cebu avant le départ. Nous profitons de notre présence pour organiser une rencontre à bord de Fleur de Passion, afin de leur présenter nos différents programmes et d'en savoir plus sur leurs activités. Nous apprenons ainsi que pour reconnaitre entre les tortues un individu d'un autre, les chercheurs du centre pratiquent ce qu’on appelle la photo-identification en ciblant particulièrement les motifs sur le côté gauche de leur tête, propres à chaque individu comme des empruntes digitales. Nous apprenons aussi, moins agréable, que 85% des récifs des Philippines sont classés comme "hautement menacés" à cause de différents facteurs comme la sur-pêche, la pêche destructrice (explosifs, cyanure) et la pollution.

A propos de récif corallien, c'est ici que nous avons enfin l'opportunité de procéder à de nouvelles observations de l'état de santé des coraux dans le cadre du programme CoralWatch, que nous avons rejoint en Australie et débuté sur la Grande Barrière de Corail. Manon, notre fidèle mousse, étant la seule personne à bord à avoir déjà pratiqué avec l'équipage précédent, c'est elle qui nous présente à tous le principe pendant le repas. Dès le début d'après-midi, tout l'équipage se déploie en snorkeling pour une session d'observation! Et si une tortue passe par là... C'est toujours un joli moment!

Le temps passe vite et après 48 heures à Apo island, il est déjà temps de faire route au nord, en direction de Mactan où nous allons embarquer une nouvelle équipière venue de Suisse, Elisabeth. En chemin, nous nous arrêtons quand même devant Balicasag, une autre petite île très prisée des plongeurs. Nos amis du LAMARVE étudient aussi l'impact sonore des activités humaines sur certaine zones aux Philippines et Balicasag en fait partie. Nous en avions parlé lors de la venue à bord de Michel André, notre partenaire du Laboratoire d’Applications Bioacoustiques de Barcelone et responsable du programme 20’000 sons sous les mers sur la pollution sonore, et nous avions convenu de faire autant d'enregistrements que possible pour alimenter les recherches du LAMARVE.

Pendant que nous restons en stand-by à proximité du site de plongée pour enregistrer les va-et-vient des Bangkas, une partie de l'équipage se mêle à la foule en snorkeling. Et ils ont la belle surprise de littéralement "tomber" sur un requin-baleine, juste en se mettant à l'eau! Bien qu'un peu gâché par l'attroupement de touristes, le moment reste magique. Malheureusement, il semblerait que les règles de base de respect de la vie aquatique ne soient pas appliquées ici. Au moins nous n'avons pas vu de séquence de nourrissage des requins pour les attirer, business bien connu dans plusieurs coins des Philippines et qui perturbent énormément les habitudes de vie de ces somptueux poissons.

Cette première semaine de navigation dans les Visayas s'achève par une petite nuit de navigation pour rentrer à Mactan, avant de retrouver l'incroyable pollution de l'eau dans le chenal entre Cebu et de Mactan. Une omniprésence de déchets plastiques que nous aurions aimé pouvoir oublier pendant cette semaine au contact de sites magnifiques. Le contraste est saisissant entre la splendeur des récifs que nous avons pu visiter et la terrible réalité qu'est la quasi absence de gestion des déchets dans certaines agglomérations. Il nous fait prendre la mesure de ce que nous avons à perdre, mais aussi de ce que nous avons à gagner à continuer à notre échelle un travail de rencontres et de sensibilisation tout autour du monde. »

Le premier, le chef local Lapu-Lapu, est célébré comme « le premier Philippin à avoir repoussé l’invasion européenne », selon une plaque commémorative datant de 1941. Sa statue altière, cimeterre et bouclier à la main, exhale ses vertus rebelles et guerrières. Le second, Magellan, n’a certes pas droit à sa statue mais n’en est pas moins célébré comme celui qui a apporté le christianisme dans l’archipel. Son monument est même plus que la statue de son bourreau, mais quelle conclusion en tirer…

Dans le petit parc public coloré et bien entretenu qui réunit les deux grands hommes, à quelques jets de cailloux de ce qui n’est plus une plage mais une lagune bordée d’une mangrove, on se demande finalement lequel des deux est le plus cher dans le coeur des Philippins. Ou si finalement chacun symbolise une part de l’identité nationale, mise en avant l’une et l’autre, lune ou l’autre, en fonction des époques et des circonstances, internes, externes. Une chose est sûre, la baie au large s’appelle la Baie de Magellan, mais quelle conclusion en tirer…

Lapu-Lapu a aussi droit à son effigie colorée partout le long de la route qui mène au parc, et à l’entrée. Sorte de Geronimo local tout peinturluré limite pop art. Son portrait trône aussi en arrière plan d’une scène de spectacle malmenée par le temps. Allures androgynes de Che ou de (feu le musicien) Prince, cette fois.

Aujourd’hui, les rebelles ont-ils bonne presse aux Philippines? Voire… Ils habitent sur Mindanao, l’île du sud de l’archipel, sont majoritairement musulmans et dans le récit national en cours, pas sûr qu’ils aient les faveurs de l’histoire officielle en train de s’écrire, to say the least.

Reste Magellan, bienfaiteur et envahisseur, héros et victime, dont la silhouette courbée sous les coups fatals, sur une large fresque évoquant la bataille entre ses hommes et ceux de Lapu-Lapu, donne une idée de l’histoire qui s’est jouée ici, un certain 27 avril 1521.

Tout proche, les massifs immeubles de « New Mactan City » se dressent plus haut que tous les monuments réunis…