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Interview de Luis, 15 ans, réalisée le 20 février 2016 à Valdivia (Chili) à bord de Fleur de Passion, au terme de trois mon de navigation comme « stagiaire-mousse » depuis Punta Arenas

, et à quelques jours de son retour à Genève.

« J’mappelle Luis, j’ai 15 ans, j’habite à Genève, et voilà… J’ai embarqué à Punta Arenas avec Pietro Godenzi comme capitaine, Seb, Candy, Camille, Georges mon ami (l’autre « stagiaire-mousse » de Puerto Madryn à Puerto Montt), et voilà quoi… J’avais jamais navigué. Enfin si une fois quand j’étais petit sur un bateau du lac qui fait le tour du lac de Genève.

L’arrivée à bord:

« Quand je suis arrivé à bord, j’étais pas très content au début parce que j’aurais préféré être à Genève mais pour finir, bah, c’était magique tu vois. Au bout d’un moment, il faut savoir faire la part des choses. Au départ, c’était un peu dur mais après, j’ai su me mettre dans un bon état d’esprit pour travailler et voilà quoi. Ce qui était dur? La séparation avec les amis, la famille, la copine, tout. La vie à bord, c’est la vie en communauté, j’avais pas trop l’habitude tu vois, faire sa vaisselle, se lever le matin tôt, toutes ces choses là, mais faut s’y habituer un jour où l’autre. La météo, c’est autre chose! Par exemple quand on était plus au sud, dans le… le truc de Magellan, on avait les quatre saisons en une journée. Tu sortais le matin, il faisait beau, y avait du soleil, dix minutes après t’allais aux toilettes, il pleuvait, tu mangeais un coup il neigeait, tu sortais dix minutes après, soleil, t’enlevais ta veste, tu la remettais, tu mettais une jaquette tu r’mettais ta veste. Neige, pluie, neige, pluie, soleil, neige, pluie. Bref, c’était assez impressionnant.

Après un jour que tous tes habits sont mouillés tu prends l’habitude. Tu rentres dans ton lit c’est mouillé, tu vas dehors t’es mouillé, c’est un peu un style de vie on va dire. Mais après quand les personnes commencent à parler, à t’expliquer, ça prend un sens. Et puis t’essaye d’avancer avec ça et puis voilà. Moi j’cache pas que j’ai eu des moments très durs où j’avais envie de rentrer mais faut aussi passer au-dessus et puis t’es d’autant plus fier après quand tu réussis tes trois mois ou je sais pas combien les personnes elles restent ici. Ca t’apprend des trucs, monter les voiles, les animaux, les orques, les baleines, c’est vraiment un autre style de vie et qui pour moi me plait. On a eu des baleines, des orques, des dauphins, des loups de mer, des phoques, des oiseaux, des condors, des vautours, une pétée de trucs! J’peux pas tout compter là, j’oublie la moitié. »

Le condor:

« J’montais une montagne avec Pietro, j’étais pas trop motivé j’voulais pas, ça m’faisait un peu chier d’monter les montagnes, marcher et tout, bah… J’aime pas trop ça tu vois. Et genre j’ai commencé à arriver au sommet et Pietro y m’regarde comme ça et y fait « stop, stop, stop y a un grand oiseau ». J’regarde et j’fais c’est quoi c’bordel, tu vois. Y m’fait « regarde y a un condor ». Et là j’fait « touf, touf, touf » (il se tape la poitrine de la main pour mimer l’accélération du rythme cardiaque) parce que je sais que les condors c’est immense et tout. Et là on arrive au sommet, vraiment au sommet de la petite montagne et genre le condor il s’envole juste au-dessus de nous et on voyait ses yeux, on voyait ses pupilles. Il était quoi, cinq mètres au-dessus de nous. Pietro il a pris des photos, c’était magnifique. Ensuite y s’est posé sur une montagne on a attendu qu’y parte là, tu sais. En plus avec le bateau, Fleur de Passion au fond, c’était magique. »

La vie à bord:

« Avant j’étais vraiment en mode très très investi, j’montais les voiles, j’faisais la barre, plein de choses. Et après j’étais plus dans la conduite du zodiac, la construction de plein de trucs. J’ai construit une plateforme par exemple pour le générateur d’air pour les bouteilles de plongée. Maintenant j’sais conduire un zodiac mais genre vraiment je me suis perfectionné pour quand je rentre à Genève j’fasse mon permis zodiac et puis voilà. J’ai aussi poncé toute la coque parce qu’avec les intempéries ça fait des petites chips sur la peinture. »

Sur les traces de Magellan:

« J’aurai fait trois mois à bord. Partir sur les traces de Magellan j’en avais pas trop conscience. Et puis j’vais dire la vérité au début j’en avais rien à carrer. Mais après j’me suis intéressé, j’ai lu les livres, c’est magique.

Moi j’aidais à foutre les trucs à l’eau, à relever. Tout l’équipage a beaucoup aidé Candy parce qu’elle peut pas tout faire toute seule. Ca m’a appris des trucs, les microplastiques, la contamination sonore des eaux, là. On apprend même sur des trucs biologique. Tu vois, c’est pas franchement le truc qui m’intéresse. C’est pour ça qu’on fait ce voyage, pour une map de toute la mer pour voir comment ça évolue et comment ça pourrait devenir dangereux. »

A mes potes:

« Evidemment quand j’ai vu des orques, des baleines, quand j’ai vu le condor, j’pense pas, enfin j’suis sûr qu’aucun de mes potes n’a vu ça. Et genre y a un moment où tu te dis mais c’est fou! De voir tout ça. Et genre, en montant sur ce bateau j’aurais jamais pensé ça. J’en avais vraiment rien à foutre. J’étais là dans mon lit j’voulais pas sortir de ma cabine. Et puis avec les personnes qui disent « sorts, sorts, viens voir ça, viens voir ça », au bout d’un moment tu débloques. Et ok, tu fais des choses magnifiques! »

L’espagnol:

« J’ai beaucoup de potes qui sont latinos et du coup, vu que moi j’suis à moitié espagnol ma grand-mère m’a inculqué les bases de l’espagnol. Et en arrivant ici, j’avais mon ami caméraman, Tomy, qui parlait pas beaucoup le français. Et genre j’ai dû m’adapter parce que par exemple pour aller au restau, pour demander un truc, t’es obligé de parler un peu la langue locale parce que sinon t’es grave dans la mouise tu vois. Et j’ai commencé à parler un petit peu espagnol. Ensuite, ça a monté et aujourd’hui, j’pense j’arrive à tenir une conversation en espagnol. Et tout ça grâce à Tomy, grâce à Georges, à plein de personnes. Ce qui me permet de par exemple mettre dans mon CV aujourd’hui: connaissance de l’espagnol. J’ajouterais que j’ai fait trois mois en mer, que j’sais conduire un zodiac, que j’ai habité en communauté, plein de trucs. C’est des choses que voilà, t’as quinze piges, t’es pas accoutumé à faire ça, faire ta lessive, ta vaisselle, ranger ta chambre. Tu vois à la maison c’est un peu plus permissif, tu fais ça un peu en fin de semaine. Tu dis à ton père c’est bon, j’le fais lundi. Ici, c’est non, tu salis un truc tu nettoies direct, y a personne pour passer derrière toi. Y a personne pour faire ta lessive. Donc si tu veux pas te promener avec des habits sales tu sais ce qu’il te reste à faire. C’est un peu un rythme de vie à prendre. C’est un peu chaud au début, peut-être la première semaine. Et puis après ça vient petit à petit, moi j’ai encore des problèmes avec ça mais ça a déjà beaucoup changé depuis le départ.

Bilan:

« J’dirais pas j’suis content que ça a changé parce que j’dis la vérité j’aurais pas voulu être là pendant trois mois. J’sais très bien que ça m’a beaucoup servi, que ça va me manquer la mer, les orques, les baleines. Que si j’aurais pas fait ça peut-être que je serais tombé encore beaucoup plus bas dans les conneries, peut-être retourné en prison. Moi je suis venu ici soit j’allais en foyer ou sois je retournais en prison. Et justement j’me dis, t’arrives au milieu de la mer avec les bonnes personnes qui t’inculquent des choses, des valeurs, des trucs. Et tu t’dis t’es au milieu de la mer avec un paysage magnifique que comparé à la prison ou au foyer c’est la solution. Et quand t’es tout seul à trois heures du matin en train de barrer avec les étoiles tu t’retrouves tout seul face à l’horizon et puis tu réfléchis et puis voilà. Ca te re-boast un peu, ça me donne du courage pour continuer en tout cas.

Pour finir:

« Camille, Candy, Pietro, Seb. En plus les passagers ils étaient super cool. Pierre Wazem, trop cool, Christian que j’dois revoir en rentrant pour manger une lasagne, plein de personnes que j’oublierai jamais. Comme ce voyage que j’oublierai jamais. »