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Jonas B., 18 ans en ce mois d’avril 2018, était encore mineur quand il a embarqué sur Fleur de Passion en novembre 2017 à Manado, en Indonésie, dans le cadre du programme socio-éducatif Jeunes en mer. Et dans celui, encore plus large, de The Ocean Mapping Expedition, tour du monde de quatre ans (2015-2019) dans le sillage de Magellan sous l’égide de la fondation Pacifique et mêlant science, éducation et culture. Pendant deux mois et demi, via Cebu, Mactan et les Visayas dans le centre des Philippines puis jusqu’à Puerto Galera, fin janvier 2018, il a fait l’expérience de la vie en mer sur un voilier « de travail », s’initiant à la manoeuvre, à l’entretien courant du bateau et à toutes les tâches inhérentes à la vie du bord. Depuis Genève, il partage son témoignage. 

En mer - « Je réfléchissais à plein de trucs, au voyage, à ma vie d’après, à ma vie d’avant »

« J’avais déjà l’occasion de naviguer deux semaines en mer sur le Mauritius (ndlr: le second voilier de l’association Pacifique) et j’avais beaucoup aimé. Les navigations étaient les meilleurs moments pour moi. Quand j’avais pas de tâches à faire, je prenais un bouquin et j’allais lire. Je me sentais bien, le bouquin, je le dévorais alors que normalement j’arrive pas à lire. J’avais aussi moins de peine à effectuer mes tâches quand on était en mer. Et il y a moins de tentations. Tu sais que si tu veux boire, ben tu peux pas. Il y a eu des hauts et des bas, deux mois c’est quand même long. J’ai parfois eu de la peine avec la vie en communauté, c’est toujours les mêmes personnes que tu vois. Et quand tu viens de t’engueuler avec quelqu’un et que t’as plus envie de le voir, ben t’es obligé de le recroiser je sais pas combien de fois dans le journée et tu peux pas aller te calmer ailleurs. Tu es coincé sur le bateau. Plus le fait que je ne pouvais pas fumer et boire quand je voulais. C’était dur. J’avais de la peine à dormir. C’est pas qu’il faisait chaud, c’est qui faisait super chaud, il y avait des moustiques et que je pouvais pas fumer mes joints avant de dormir. Ecouter de la musique le soir me calmait et du coup, je réfléchissais à plein de trucs, au voyage, à ma vie d’après, à ma vie d’avant. » 

Sur la terre - « Rester dans un port, plus rester sur un bateau, c’était vraiment dur »

« L’escale à Cebu a été la période la plus difficile pour moi. J’avais tout le temps envie de partir du bateau, j’avais envie de faire mon voyage à moi en fait. La ville est super polluée, ça pue, il y a des rats. On était bloqué là-bas, on attentait je sais pas qui… Sur le moment j’avais pas compris l’importance des gens qui venaient sur le bateau, mais ils font vivre le truc, ça aide. Mais moi je me disais, il y a des requins à aller voir là bas, des endroits à visiter, des gens à rencontrer... Rester dans un port, plus rester sur un bateau, c’était vraiment dur. Les moments cools, c’était quand il y avait des gens sur le bateau, quand il y avait des évènements. J’ai un bon souvenir à Cebu, le jour où on a embarqué les enfants d’une école et qu’on a fait un tour d’une journée. Je sortais d’une période où j’étais plus du tout motivé à travailler sur le bateau, je faisais tout à reculons, j’étais bloqué sur moi et je n’avais qu’une idée, c’était rentrer chez moi. Cette journée avec les gamins, ça m’a fait repartir dans le bon sens, c’était un super moment. »

Les rencontres - « Et puis on est resté une heure, tout le monde venait pour parler avec nous »

« J’ai rencontré un indonésien à une escale, on a échangé nos numéros et discuté. Lui travaillait dans une rizière, il m’a montré des photos, m’a raconté sa vie. C’était un super bel échange. Moi je lui racontais que je vivais sur un bateau et il était super enthousiaste. Je suis dégouté car le téléphone sur lequel j’avais enregistré son numéro est tombé au fond de la cale, dans l’eau de mer.
Sur le bateau, j’ai beaucoup parlé avec Daniel McGinnis (ndlr: professeur à l’Université de Genève, chef du Groupe de Physique aquatique du Département Forel et responsable du programme The Winds of Change de monitoring des gaz à effet de serre lancé à bord de Fleur de Passion aux Philippines en décembre 2017), il est super sympa, super cool, super compréhensif, toujours ouvert à la discussion. Je pouvais parler en anglais avec lui, ça me permettait de pratiquer un peu. Je lui ai aussi appris quelques mots en français. Là je cite Daniel, mais il y avait tout les autres avec qui j’ai passé des bons moments. L’équipage, Amélie, Séb, Camille (ndlr: respectivement la et le skipper qui se se sont succédés à la barre et le second de l’équipage). Les autres jeunes sur le bateau aussi.
Un des mes meilleurs souvenirs aussi, c’était en Indonésie avec Ludo (ndlr: le chef plongeur du bord) et Kader (ndlr: l’éducateur-accompagnateur). On était allé faire des courses dans un village et on demande aux gens du marché ou est-ce qu’on peut boire un café. Ils nous répondent bah ici, on va vous l’apporter. Et puis on est resté une heure, tout le monde venait pour parler avec nous. Et puis quand on est aller cherché le Zodiac pour rentrer sur Fleur, il y avait plein de gamins dessus qui sautaient dans l’eau… Sauf qu’ils avaient débouchés un bouchon et que le zodiac prenait l’eau et que c’était bientôt la nuit et qu’on ne trouvait plus le bateau, qu’on ne savait pas exactement ou il y avait des rochers. On a eu un peu peur. 
On a rencontré un couple à Mactan qui voyageait en voilier et qui faisait le tour du monde. Ils ont tout quitté. Et ça m’a fait rêver… Je pense que clairement, avant, faut avoir de l’expérience, car tu te retrouves seul en mer, faut savoir gérer. La mer, t’as beau avoir des instruments technologiques, c’est elle qui décide, qui te mène. J’aimerais vraiment repartir en mer, naviguer. Même sur le lac ! »

Ce qui marque - « Certains enfants m’appelaient boss »

« La pauvreté des gens, ça m’a beaucoup touché. Quand on est arrivé à Cebu, on était donc au Yacht Club et de l’autre côté de la route il y avait des bidonvilles. D’un côté les riches et de l’autre côté les pauvres. Le contraste entre les deux, c’est abusé.
Les gamins là bas ils voient que t’es blanc ou que t’as un tee-shirt pas pareil qu’eux et ils le remarquent, ils viennent te voir dans la rue pour te demander de l’argent. Certains enfants m’appelaient « boss » et me disaient « give me money, give me money » et je disais « I dont have money, just cigarettes » et j’allais pas leur filer des clopes, ils avaient 4 ans et demi... Une fois, on était devant une petite supérette avec Tim et Manon (ndlr: deux autres adolescents du programme Jeunes en mer), il nous restait un peu de monnaie. On l’a filée à un gamin, il était tellement content. 
Les gens là bas doivent être beaucoup plus débrouillards que nous, ils doivent se démerder. Les enfants travaillent. Les gamins qui emmènent les touristes faire de la plongée, ils ont même pas 12 ans. Les bateaux font un boucan insupportable car ils sont équipés de moteurs de tondeuse ou des moteurs pourris récupérés. On en parlait avec Kader, en se demandant si ils étaient sourds à 30 ans vu qu’ils commencent si jeunes. »
Bilan - « Je ne réalise pas trop non plus »
« Moi je pars du principe que les trucs qu’on fait dans la vie, même si ce sont des erreurs, il ne faut rien regretter. Ça ne sert à rien. Pour moi c’était une expérience de dingue, je l’ai fait une fois dans ma vie et j’ai bien fait de partir. Ça m’a fait du bien et je serais bien resté sur le bateau un peu plus longtemps si j’avais le droit de boire un peu plus souvent.
Sur le bateau, Camille m’a parlé d’un service civique orienté mer. Ça peut être super intéressant car tu vois des aspects différents, que ça soit naviguer, réparer des voiles, de la charpente maritime, la menuiserie, mécanique moteur. Et en plus tu navigues, tu rencontres des gens. Je ne sais plus comment va cette phrase exactement, du genre « je ne suis pas citoyen français, mais citoyen du monde », mais je me reconnais là-dedans. Je me sens pas bloqué ici ou bloqué en Europe. Je l’ai déjà dit à ma famille et à mes potes qu’un jour, je partirais. Et être sur le bateau a encore renforcé ça. Je réalise ce que j’ai fait, mais je ne réalise pas trop non plus. C’est un truc de ouf quand je me remémore des souvenirs. Mes potes me disent que j’ai eu trop de chance et clairement j’ai eu trop de chance. Je sais que plein de gens aimeraient bien partir en mer comme ça.  
J’ai essayé de tenir mon objectif de pourquoi j’étais venu sur le bateau au maximum. Je voulais arrêter de fumer, de consommer des drogues, calmer ma conso d’alcool. En partant comme ça, j’ai voulu me couper des choses et des gens nocifs. Faire un travail sur moi, prendre du temps pour réfléchir et le bateau c’était un bon moyen pour faire tout ça et de voyager en même temps, voir du paysage et rencontrer des gens. »

De la sortie du Détroit de la Sonde, entre Sumatra et Java, jusqu'aux Îles Cocos, plus à l’ouest en direction de Madagascar, les cinq adolescents du programme socio-éducatif Jeunes en mer en partenariat avec l’association Pacifique se sont progressivement amarinés. La mer est une grande nouveauté pour eux, alors l’océan Indien, c’est dire… Au menu de cette traversée, ils se sont initiés à la pêche au leurre, au rationnement d’eau douce et à la douche de pont, entre autres expériences de la vie au grand large quand il règne une chaleur tropicale dans les cabines et qu’on ne peut pas manger des frites et des pizzas à tous les repas, entre autres contingences… Récit du bord.

« Pour nos jeunes, dès que le bateau file bon plein sur une mer peu agitée, la navigation devient l’occasion de parties de pêche à la ligne effrénées et de prises spectaculaires: barracudas, thazards noir ou encore dorades coryphène. L’activité les captive, ils apprennent à monter une ligne avec un leurre maison fabriqué dans un vieux bas de ciré orange fluo découpé en fines lanières pour imiter un petit poulpe! Une technique imparable de Yffig, le second du bord… Ils s’initient à la manière tout en douceur de hisser le poisson à bord sans qu’il ne se décroche de la ligne en se débattant, il faut dire que l’animal peut atteindre le mètre de long, puis à le vider, à le découper proprement en filets et enfin à le cuisiner en compagnie de Pere le skipper. Grisé par l’exercice, l’un des jeunes veut pousser le prestige et le plaisir de la pêche jusqu’à attraper… un requin!

Le fruit de la pêche offre un complément de nourriture fraiche très apprécié, car en la matière, la traversée de l’océan indien nécessite une vigilance de tous les jours. Un avitaillement complet en fruits et légumes a certes été fait à Jakarta avant le départ le 12 avril. Mais sous la cuisante chaleur des tropiques, une veille régulière est de mise et conduit à adapter le menu du jour en fonction de leur état de maturation. Nos jeunes, forcément, ne sont pas de gros mangeurs de légumes, leur préférant frites et pizzas. Mais nécessité fait loi et les contingences du bord les obligent à tester de nouvelles saveurs.

Autre contingence du bord, la gestion de l’eau douce. Et autre apprentissage pour les jeunes, peu au fait des notions de pénurie potentielle, donc de rationalisation préventive. Mais à toute chose malheur est bon. Les « grains », ces nuages chargés de pluie qui s’abattent régulièrement sur le bateau, deviennent des moments de pur bonheur et de jeu pour tout le monde à bord. Tout ce que le bord compte de récipient - casseroles, bassines, sauts, etc - est alors de sorti. La poche de ris de grand voile devient un réservoir naturel. Tout le monde s’active qui pour remplir, frotter, laver dans une joyeuse ambiance de rires et de cris sur un pont transformé en gigantesque douche et buanderie d’extérieur.

Sous les latitudes tropicales, les couchettes sont comme de petits fours où jamais la température ne baisse, même la nuit. Quand s’abat un grain, elles pourraient gagner quelques degrés de fraicheur mais comme il faut fermer les claires-voies pour éviter l’inondation… Aussi la vie du bord se concentre-t-elle essentiellement sur le point, de jour comme de nuit, surtout de nuit, quand chacun s’essaye à rechercher ne serait-ce qu’un filet d’air…

Lors des moments de calme après un grain ou après une partie de pêche, place aussi aux moments d’apprentissage. Pere dispense alors volontiers des cours de navigation et de météo en profitant du cadre grandeur nature qu’offre l’expédition.

Le 20 avril, nous arrivons aux îles Cocos, minuscule archipel d’une trentaines d’îles appartenant à l’Australie. Le mouillage apporte un peu de répit à nos jeunes terriens qui peuvent effectivement aller faire quelques pas à terrer pendant que l’équipage procède à un peu d’entretien courant, toujours plus facile au mouillage qu’en pleine mer. Le 21, nous repartons pour la suite de la traversée en direction de Saint Brandon, au nord-est de l’île Maurice."

Chose promise chose due… Lors de la soirée de finissage de l’exposition « Notre île aux épices » à la Bibliothèque de la Cité de Genève, le 1er février 2018, deux ados genevois ayant embarqué sur Fleur de Passion dans le cadre du programme socio-éducatif Jeunes en mer en partenariat avec l’association Pacifique, Manon et Leandro, avaient accepté de dire façon slam leur témoignage. Les voici, de petites perles venues des tripes et du coeur, qui ont ému les dizaines d’invités présents ce soir-là.

Le slam de Leandro F.

« Toi, grande barque qui m’a fait craquer

Qui résiste à tous les grains

Tous les dangers que tu as nargués

Ne t’ont pas détourné du chemin

 

Ta silhouette teintée de bleu

Illuminée par le soleil

Fend les puissantes vagues en deux

Faisant de toi une merveille

 

Toi qui le souffle m’as coupé

Puis qui m’as appris la mer

Sur toi j’ai pu me reposer

Pour me reconstruire sur terre

 

Toi, mon Sensei, Fleur de Passion

Qui m’a guidée vers la vie

Tu m’as enseigné la passion

Et m’as délivré des soucis

 

Tous ces noms, quelle galère

Ces cordes, oh pardon ces boutes

Et tout ce vocabulaire

Artimon ? Voile, plus de doute

 

Moi qui ai vécu sur ton pont

Avant que la vie m’en arrache

Mes pensées restent sur ce pont

Parce que la mer ça t’arrache »

***

Le slam de Manon W.

« Je ne sais dire combien de temps est passé 

2 jours ou 8 ans , tout étais leger 

Même ces bouts qu'on a tirés 

Et ces voiles qu'on a hissé 

 

J'ai compris l'importante d'une bonne équipe 

Lors de manoeuvres ou la.moindre erreur pique 

Ou lors de moments magiques 

Qui étaient bien mieux partagés

 

Je ne crois pas avoir plus appris qu'ici

Sur la voile, la navigation et meme la vie 

Je ne sais comment exprimer qu'ici

Je me sens légère et sans soucis 

 

Et on peut tous couler 

Écrasé par la pression 

D'une vie qu'on ne sais pas gérer 

Ou qui nous rend malheureux 

 

J'ai découvert sur fleur de passion 

Toi , qui malgré tout subis les conditions 

Que peu importe ce qui peut se passer a terre 

Je ne serais jamais aussi bien qu'en mer »