Livre de bord

Pendant les 1000 miles de la traversée entre Las Palmas et Mindelo, du 30 avril au 7 mai, c’est Laura qui a tenu le journal de bord. A ses côtés, les autres membres de l’équipage étaient: Amélie, Audrée, Brigitte, Candy, Emma, Orlane, Pietro, Thierry et Timothy. Embarquement pour sept jours de mer pendant lesquels le vent a été suffisamment fort pour pousser Fleur de Passion à 5,5 nœuds en moyenne, malgré quelques petites molles qui ont obligés à lancer le moteur de temps en temps.

Las Palmas avant le départ

Arrivé à Las Palmas le 26 avril, Fleur de Passion attend, en ce lundi 27 avril, le changement d’équipage et la fin d’une série de travaux dans ses cales avant de reprendre sa route en direction de l’archipel du Cap Vert. Sous la houlette de Matthieu, notre dessinateur, une petite équipe s’attèle à peindre une fresque représentant Fleur de Passion sur les murs du quai, comme le veut la tradition pour les navires de passage dans ce port. Pendant ce temps, d’autres s’activent dans les cales et sur le pont. Il reste du travail sur le gréement, pour éviter tout frottement entre les drisses et les différents bouts, des voiles à recoudre, une pompe à eau à réparer, et une « black box » à installer afin d’enregistrer les sons des animaux marins qui traîneront dans le sillage de Fleur de Passion.

Sur le bateau, une vaste opération de rangement et de tri est lancée afin de se débarrasser du « non-nécessaire ». « Ca, ça sert à quoi ? » Candy tend un outil indéterminé à Olivier. « A rien [il rigole]. Mais garde-le quand même, c’est en inox. Je peux encore fabriquer des pièces là-dedans. » Même topo avec une vieille prise électrique défaillante : on jette les fiches et on en garde le câble pour d’éventuelles réparations.

L’équipage apprend à se connaître. Olivier et Matthieu nous quittent. Restent les dix membres qui feront le trajet jusqu’au Cap Vert. En descendant la passerelle pour prendre son avion, Olivier a un petit sourire : « Ce dont je me réjouis, tu vois, c’est la grasse mat’ qui m’attend dans un grand lit. » Sur Fleur de Passion demeurent : Pietro, le capitaine, Amélie, son second, Candy et Brigitte, cheffes de quart, Thierry, gréeur, Orlane, notre cuistot, Audrée, Laura, Tim et Emma en tant que passagers.

Départ de Las Palmas et premiers jours de navigation

Jeudi 30 avril, ça y est, enfin l’heure du départ. Ça a travaillé jusqu’à 3 heures du matin en salle des machines pour tout terminer. Fleur de Passion sort du port au moteur. Un fort vent de N-NE a creusé une bonne houle, qui ne facilite pas la manœuvre. L’artimon et la grand voile sont hissés. Puis viennent les voiles d’avant. A 10h30, le bateau s’élance. Les creux montent à un bon mètre cinquante. Quelques passagers auront besoin d’un peu de temps pour s’accoutumer au roulis. L’équipage prend ses marques, les repas rythment la journée, et la cuistot nous gratifie souvent de pauses chocolat ou salade de fruits.

C’est parti pour plusieurs jours de pleine mer. Nous nous accoutumons à nos quarts. A l’arrière du bateau, nous trainons une ligne de pêche et le micro - la bien-nommée « flûte enchantée »-, ainsi que, par moments, un long filet permettant de réaliser des prélèvements de micro-plastiques. Assez vite, nous apercevons des dauphins, qui viennent jouer à l’étrave. C’est Pietro qui les a repérés le premier, en observant des oiseaux piquer au loin.

La première nuit après le départ de Las Palmas est splendide. Venus apparaît à l’horizon. Au-dessus d’elle, on repère Jupiter et, entre les deux, Castor et Pollux. Nous naviguons, le pont éclairé par la lune montante et bientôt pleine. Le cap devient difficile à tenir, nous décidons d’empanner de nuit. L’équipe de quart va chercher les membres d’équipage encore endormis qui doivent aider à la manœuvre : il y a ceux qui grognent, qui jurent dans leur barbe, qui demandent d’allumer la lumière dans leur couchette ou qui, déjà à moitié réveillés par les bruits ambiants, sont très vite sur pieds.

Les lampes frontales dansent sur le pont. Il faut tendre les bastaques du côté qui se retrouvera au vent, reprendre les écoutes de grand voile et d’artimon pour faciliter une manœuvre en douceur… Dans la nuit, avec la fatigue et une équipe tout juste renouvelée, il n’est pas évident de repérer l’écoute du clin foc, la contre-écoute de trinquette ou la balancine… Mais les passagers s’entraident, les nouveaux suivent les connaisseurs comme leur ombre, apprennent au plus vite.

Vendredi 1er mai, le vent est encore plutôt fort, entre quinze et vingt nœuds. Fleur de Passion, lui, trace sa route à près de 7 nœuds, les barreurs et barreuses qui se succèdent ont pour mission de tenir le vent à 120° environ. Seules quelques flèches sur la carte de l’ordinateur indiquent que des cargos se trouvent dans les parages. « Là, on est vraiment tout seuls » remarque Tim, cadet sur le bateau. « Attends la transat’, chaton ! », rigole gentiment Candy.

Le prélèvement de micro-plastiques nous réserve une surprise : une masse gélatineuse et violacée empêche l’eau de sortir de l’échantillon. Méduses ? Plastiques ? les hypothèses vont bon train. Il s’agit en fait de plancton. Il faudra presser le filet et plusieurs heures de séchage au soleil pour pouvoir conditionner l’échantillon. « Ils vont halluciner quand ils recevront ça en Suisse. » Le quart de nuit se déroule tranquillement, l’eau prend des couleurs magiques, toutes en teintes de noir et de gris, plomb et argent. L’humidité ambiante trempe le bateau. « On colle, on colle, on colle ! » Comme Candy, le reste de l’équipage se sent alourdi par les embruns. Le réveil en est d’autant plus difficile. « Le quart de minuit à trois heures du matin, c’est hardcore quand même », remarque Audrée, la tête rentrée dans les épaules, mais un grand sourire affiché malgré tout. Sur la table de la cuisine, pour aider l’équipage à tenir, il y a du thé chaud, un reste de pâtes au poulet et chorizo et du crumble pommes-bananes.

A l’approche du Cap Vert 

Samedi 2 mai, l’équipage a bien pris ses marques. A six heures du matin, l’attente du lever de soleil se fait en sirotant un café un peu brûlé, dont le goût se mêle aux embruns salés. Moment tranquille et paisible, unique en son genre.

Durant la journée, celles et ceux qui ne sont pas de quart profitent de moments de répit pour une sieste. La musique résonne en cuisine et dans le cockpit, au gré du contenu des baladeurs MP3 de chacun. Depuis hier, quelques hirondelles arrivées d’on ne sait où nous tiennent compagnie.

Le soleil commence à bien cogner en journée, et le vent faiblit, nous obligeant à lancer le moteur. La vue d’une centaine de dauphins au bas mot colle un immense sourire à tous les passagers. Certains chassent au loin, leurs ailerons dorsaux émergeant de l’eau en une grande ronde, tandis que de petits groupes se détachent et tournent autour de Fleur de Passion.

Dimanche 3 mai, Audrée accueille l’équipe de quart qui la suit d’un tonitruant « Bon matin ! ». Depuis le départ, une bonne humeur ambiante est palpable. Même pour Thierry, le gréeur, qui a pourtant passé une nuit difficile, de même que les dormeurs installés à l’avant, juste au-dessous du mât principal, contre lequel la bôme a grincé toute la nuit. « J’ai failli devenir fou ! J’ai fini par monter pour faire taire les dauphins, là. On y mettra une nouvelle couche de suif. » Les passagers à l’arrière, quant à eux, ont plus subi le frein de bôme, tirant sur le côté du bateau à chaque roulis, dans un bruit de tension assez infernal.

Cap à 240-245°, une vitesse d’environ 6,2 nœuds, les fidèles Jupiter, Venus, Castor et Pollux avec nous. Autour, la mer, ses vagues, régulières mais jamais semblables. Dans l’après-midi, l’ordinateur nous apprend que nous avons fait les deux tiers du chemin.

Ce lundi 4 mai est, à nouveau, une journée magnifique. Ca joue aux cartes en cuisine, Orlane et Amélie enseignent les règles du tarot aux deux plus jeunes équipiers, et le capitaine autorise un petit apéritif. Tout le monde a sorti le short, et la génératrice tourne, qui devrait même permettre à quelques personnes de bénéficier d’une douche tiède. Mindelo approche au rythme de la houle, nous devrions y accoster le 7 au matin.

Arrivée au Cap Vert

Depuis plusieurs heures, nous voyons les  îlots du Cap vert se rapprocher sur la carte de l’ordinateur. L’arrivée est prévue ce jeudi 7 mai à Mindelo, dans les environs de 14 heures – heure locale. Dès le quart du matin, nous guettons l’horizon chargé de nuages. Enfin, peu après midi, nous distinguons une forme sombre à travers les nuages. Un bout de rocher qui se transforme petit à petit en terre ferme. Tout l’équipage se rue à l’avant du pont, cris de joie : après sept jours de pleine mer, cette vision fait plaisir. Nous nous engageons dans le chenal. Il y a trente nœuds de vent, qui siffle à travers les haubans. Grand voile et clin foc affalés, nous finissons la route au moteur, avec la trinquette et l’artimon.

Mindelo nous ouvre les bras. Nous nous installons au mouillage dans la baie. Autour de nous, des collines rocailleuses râpées par les vents et de petites maisons colorées, peintes en rouge, en vert, en jaune, nous mettent tout de suite dans l’ambiance : nous voilà enfin bien arrivés au Cap Vert !