Livre de bord

Après son départ de Manado en direction de Palau et avant même d’arriver sur ce petit confit perdu au milieu de nulle part sur la route des Philippines, l’équipage avait repéré une inquiétante dépression en train de se former, quelque part à l’Est. Les prévisions annonçait du lourd, mais c’était compter sans les mystères de la nature et les tendances parfois… dépressives de certaines dépressions.

« Depuis Manado en Indonésie, il avait été décidé de rejoindre Cebu, aux Philippines, en effectuant un contournement très au large par l’Est de l’île de Mindanao. Tristement réputée pour son instabilité et les risques sécuritaires, elle ne donnait pas franchement envie de provoquer le destin en longeant ses côtes de trop près. Aussi avions-nous mis le cap au Nord-Est en direction de Palau, minuscule archipel vers lequel nous attirait par ailleurs la perspective d’une pause et de mouillages propices à un peu de snorkeling dans un décors de carte postale.

Sauf qu’à mi-chemin, il a bien fallu se rendre à cette très regrettable réalité: les fichiers météo reçus par satellite annonçaient une dépression en train de se former au Sud-Est de l’île, synonyme de très mauvais temps, de mer mauvaise et de vent de face à brève échéance. Alors qu’à cette saison et à cette latitude (7° Nord), nous pensions profiter tranquillement des alizés du Nord-Est qui nous auraient portés vers les Philippines. C’est dans cette ambiance de soucieuse vigilance météorologique qu’au petit matin du 1er décembre 2017, nous faisons notre entré dans l’étroit chenal menant au quai où doivent se faire les formalités d’entrée dans cette République indépendante.

Le lendemain, dans les messages du matin reçus de Genève, nous lisons la confirmation que la dépression s’annonce effectivement sévère, avec risque cyclonique, et qu’elle va passer sur Palau dans quelques jours prochains. Pas bon du tout… A bord, l’équipage se réunit en cellule de crise et décision est prise de reprendre la mer le plus vite possible. Une partie de l’équipe s’en va dare-dare en ville faire un rapide avitaillement et compléter les provisions trop limitées pour tenir jusqu’aux Philippines. Et la procédure de sortie du pays est agendée pour le lendemain 3 au matin.

Une fois l’avitaillement terminé, sur le coup des 14h30, c’est le départ pour Ulong Channel, réputé comme l’un des plus beaux, à une dizaine de miles. Nous y mouillons et y passons la nuit dans un climat de poisseuse tension liée à la météo et de profonde déception de devoir quitter si précipitamment un endroit absolument sublime, pour ce que nous parvenons à en apercevoir. Le lendemain dès 8h, nous sommes de retour à quai en ville pour faire les papiers de « clearance ». L’occasion de se faire gentiment racketter par des fonctionnaires peu compatissant. Et sur le coup des 11h, nous voilà repartis la mort dans l’âme et la dépression aux trousses.

Le dernier bulletin météo nous annonce qu’elle est vraiment très grosse, à quatre jours quelque part à l’Est, pas très clairement située d’ailleurs, ce qui ajoute à la tension, et même si à Palaos, nous n’avons pas d’air et qu’il nous faut attendre le soir pour envoyer un peu de toile: GV, artimon et voiles d’avant. Etrange ambiance, climat d’incertitude lourd de menaces car il ne s’agit pas de traîner.

Le 6 décembre au matin, à 48h de notre arrivée prévue à Cebu, soit à mi-chemin, ô surprise! Les fichiers météo nous informent que la dépression a finalement… disparu! Elle s’est tout simplement volatilisée, désagrégée, comme cela arrive parfois… A bord, même parmi les marins de l’équipage, c’est la première fois que l’on vit pareil phénomène: 120 noeuds de vent annoncés (240 km/h) et puis plus rien! Moment d’incrédulité et d’incertitude dans une de ces régions où tout peut arriver et où les prévisions peinent parfois à situer précisément le départ d’une dépression, comme c’était le cas. Car si elle a pu disparaître si vite, quelle est la probabilité qu’elle réapparaisse subitement là où on ne l’attend plus?

Malgré la déception redoublée d’avoir raté Palaos pour rien, le genre d’endroit au monde où l’on ne reviendra jamais, un certain soulagement est quand même perceptible à l’arrivée à Cebu le vendredi 8 décembre en fin d’après-midi. Cette arrivée au port international se fait à la fois juste avant la fermeture des bureaux de l’administration et si proche de cette même fermeture que l’on craint un instant que les formalités d’entrées ne puissent se faire que le lundi. Ô miracle, une délégation administrative - quarantaine, médecin, douaniers - se constitue malgré tout et arrive à bord vers les 19h. Moment d’intense doute chez des fonctionnaires que l’on sent très tentés par l’appel du weekend. Mas heureusement, l’atmosphère étouffante de chaleur et d’humidité qui les accueille dans le roof semble pleine de vertus insoupçonnées et, second miracle, décide douaniers, personnels de l’administration sanitaire et de la quarantaine à expédier les formalités en un temps record… Quelques photos de groupe sur le pont mettent même un point final à la procédure d’entrée aux Philippines, juste récompense après les touffeurs paperassières du roof… »