Livre de bord

L’équipage de Fleur de Passion a fêté en mer la nouvelle année, lors d’une première semaine de navigation dans la partie centrale des Philippines après deux semaines d’escales à Cebu puis Mactan. Au menu, rencontres et navigation en eaux contrastées. Récit du bord.

« Ouf ! Enfin un grand bol d'air ! Après trois semaines passées à Mactan/Cebu, il était temps pour l'équipage de Fleur de Passion de reprendre la mer. Il y a certes des attraits à être "en ville" : pour les rencontres qu’on y fait lors des événements accompagnant l’escale, pour les échanges, pour les facilités aussi qu’offre le fait d’être amarré ou au mouillage pour les travaux en cours, pour l’avitaillement, etc. Mais arrive le moment où le voilier a besoin de naviguer, où l’équipage éprouve la nécessité quasi physique de sentir du mouvement sous la quille, de se ressourcer au rythme particulier de la navigation et retrouver le quotidien "normal" de l’expédition.

Alors hop! Aussi tôt Maurane embarquée (notre nouvelle dessinatrice du programme culturel Dans le miroir de Magellan), nous mettons les voiles! Nous sommes alors le 30 janvier 2017, il est 18h12 aux Philippines (11h12 à Genève), et nous sommes bien décidés à fêter la nouvelle année au calme, loin des karaokés du yacht club qui nous ont abreuvés jusqu’à plus soif pendant des jours et des jours.

Une nuit de vent arrière plus tard, nous arrivons à proximité de la baie de Tambobo, au sud de l’île de Negros. Dans la matinée, nous faisons un prélèvement d’eau de mer pour le programme Micromégas en partenariat avec Oceaneye. Il s’avère particulièrement chargé en micro-plastiques vu la proximité des côtes. Nous avons choisi de mouiller dans cette baie car elle offre le meilleur abri de la région contre les typhons. Car en cette saison, et alors que deux tempêtes tropicales ont frappé le pays avant Noël, il nous faut encore nous méfier des phénomènes météorologiques qui  peuvent se former et se renforcer très vite. Et justement, il y en a une qui a l'air de vouloir s'approcher. La baie est très profonde et étroite et abrite déjà une quarantaine de voiliers de plaisance, en plus de la nombreuse flotte de pêche locale. Au fil des années, une communauté de navigateurs venus se réfugier ici s'est sédentarisée et a pris racine dans la mangrove, partageant la vie des pêcheurs et développant de petits resorts pour les touristes de passage. Pour fêter le passage en 2018, nous passons une partie de la soirée avec une famille hétéroclite, un anglais remarié à une philippine, avec leurs enfants, les grands-parents et un ami marin japonais lui-aussi installé depuis plusieurs années.

Prochaine étape : Apo island. C'est une île coralienne de quelques kilomètres carrés réputée pour son récif, où cohabitent un village de pécheurs, de nombreux Bangkas de plongée (ces bateaux traditionnels reconvertis) et un centre d'étude des tortues marine, le LAMARVE (LArge MARine VErtebrate) Research Institut, une ONG avec qui nous avions pris contact à Cebu avant le départ. Nous profitons de notre présence pour organiser une rencontre à bord de Fleur de Passion, afin de leur présenter nos différents programmes et d'en savoir plus sur leurs activités. Nous apprenons ainsi que pour reconnaitre entre les tortues un individu d'un autre, les chercheurs du centre pratiquent ce qu’on appelle la photo-identification en ciblant particulièrement les motifs sur le côté gauche de leur tête, propres à chaque individu comme des empruntes digitales. Nous apprenons aussi, moins agréable, que 85% des récifs des Philippines sont classés comme "hautement menacés" à cause de différents facteurs comme la sur-pêche, la pêche destructrice (explosifs, cyanure) et la pollution.

A propos de récif corallien, c'est ici que nous avons enfin l'opportunité de procéder à de nouvelles observations de l'état de santé des coraux dans le cadre du programme CoralWatch, que nous avons rejoint en Australie et débuté sur la Grande Barrière de Corail. Manon, notre fidèle mousse, étant la seule personne à bord à avoir déjà pratiqué avec l'équipage précédent, c'est elle qui nous présente à tous le principe pendant le repas. Dès le début d'après-midi, tout l'équipage se déploie en snorkeling pour une session d'observation! Et si une tortue passe par là... C'est toujours un joli moment!

Le temps passe vite et après 48 heures à Apo island, il est déjà temps de faire route au nord, en direction de Mactan où nous allons embarquer une nouvelle équipière venue de Suisse, Elisabeth. En chemin, nous nous arrêtons quand même devant Balicasag, une autre petite île très prisée des plongeurs. Nos amis du LAMARVE étudient aussi l'impact sonore des activités humaines sur certaine zones aux Philippines et Balicasag en fait partie. Nous en avions parlé lors de la venue à bord de Michel André, notre partenaire du Laboratoire d’Applications Bioacoustiques de Barcelone et responsable du programme 20’000 sons sous les mers sur la pollution sonore, et nous avions convenu de faire autant d'enregistrements que possible pour alimenter les recherches du LAMARVE.

Pendant que nous restons en stand-by à proximité du site de plongée pour enregistrer les va-et-vient des Bangkas, une partie de l'équipage se mêle à la foule en snorkeling. Et ils ont la belle surprise de littéralement "tomber" sur un requin-baleine, juste en se mettant à l'eau! Bien qu'un peu gâché par l'attroupement de touristes, le moment reste magique. Malheureusement, il semblerait que les règles de base de respect de la vie aquatique ne soient pas appliquées ici. Au moins nous n'avons pas vu de séquence de nourrissage des requins pour les attirer, business bien connu dans plusieurs coins des Philippines et qui perturbent énormément les habitudes de vie de ces somptueux poissons.

Cette première semaine de navigation dans les Visayas s'achève par une petite nuit de navigation pour rentrer à Mactan, avant de retrouver l'incroyable pollution de l'eau dans le chenal entre Cebu et de Mactan. Une omniprésence de déchets plastiques que nous aurions aimé pouvoir oublier pendant cette semaine au contact de sites magnifiques. Le contraste est saisissant entre la splendeur des récifs que nous avons pu visiter et la terrible réalité qu'est la quasi absence de gestion des déchets dans certaines agglomérations. Il nous fait prendre la mesure de ce que nous avons à perdre, mais aussi de ce que nous avons à gagner à continuer à notre échelle un travail de rencontres et de sensibilisation tout autour du monde. »