Toutes les News

Drapeaux rouges à croix blanche en travers du gréement, fanions des 26 cantons helvétiques tendus de hauban à hauban, le grand pavois hissé dans la mâture et l’hymne national entonné dans la moiteur d’une soirée tropicale: Fleur de Passion avait revêtu des atours de circonstance, lundi 1er août, à l’occasion de la fête nationale célébrée à Papeete. Et pour l’occasion, ce ne sont pas moins de 80 personnes qui ont répondu à l’invitation du consul honoraire de Suisse en Polynésie française, Beni Huber, et de sa femme Thérèse. Parmi elles, un grand nombre de citoyens helvétiques résidant à Tahiti et dans la région, certains de longue date, ainsi que de nombreux invités parmi les personnes rencontrées depuis juin, date de l’arrivée de l’expédition à Papeete. Rarement le pont du bateau avait-il connu pareille ambiance empreinte d’émotion et de convivialité, entre sentiment d’appartenance et force du lien d’un côté, et irrépressible ouverture au monde de l’autre.

Samedi 9 juillet après-midi, Fleur de Passion vient d’arriver dans les îles Australs, au sud de Tahiti, et l’équipage décide de mouiller dans la passe de Taapuna pour y passer le weekend. Le cadre est joli, le franchissement de la passe n’a pas posé de problème et on trouve un endroit tranquille pour mouiller. Il y a une marina proche ainsi qu’un petit village sur la côté. On passe la nuit et au réveil dimanche matin, on commence à observer une activité humaine beaucoup plus importante que la veille. A mesure que le jour avance, de plus en plus de bateaux font leur apparition. On compte bientôt entre 20 et 30 bateaux mouillés, certains avec de la musique à fond, auxquels s’ajoutent des jetsky, des bateaux de wake board, des embarcations de plongée, des zodiacs, des bateaux d’excursion, etc..), le tout produisant un bruit assourdissant qui devient vite insupportable pour nous.

Dans le cadre du programme 20’000 sons sous les mers, on décide alors de mettre l’hydrophone à l’eau pour enregistrer le bruit que toute cette activités humaine produit et poursuivre ainsi le travail de cartographie de la pollution sonore des océans. L’hydrophone reste ainsi à l’eau à enregistrer les sons pendant toute la journée de dimanche et toute la nuit. Au matin suivant, quand on se réveille, quelle n’est pas notre surprise de découvrir autour de Fleur de Passion, au même endroit où, le jour précédent, tant d’embarcations avaient produit tant de bruit, de très nombreux dauphins à long bec: un groupe de 30 à 40 individus évolue en effet tranquillement dans la passe de Taapuna. Les dauphins à long bec (Stenella langirostris langirostris) sont des dauphins sédentaires qui résident dans une même zone. Chaque après-midi, ils commencent à être plus actif, ils sortent hors du lagon et quand le nuit arrive, ils gagnent le large pour y chasser avant de revenir vers la côte au matin et se reposer dans le lagon de leur longue nuit en mer. En parlant avec des habitants de l’île, nous apprendrons en effet que Taapuna est un endroit très fréquenté par les dauphins.

Mais à mesure que la matinée avance, des bateaux commencent à arriver, certains pour permettre à leurs passager d’observer les dauphins. L’hydrophone est toujours en position et capte ainsi la superposition des bruits des embarcations avec les sons produits par les cétacés pour communiquer entre eux. Les dauphins, et tous les autres cétacés d’ailleurs, utilisent les ondes sonores pour communiquer, pour reconnaître leur environnement, pour se positionner. S’il y a trop de bruit, les dauphins n’arrivent tout simplement plus à communiquer et à mener leurs activités pourtant vitales telles que la chasse en groupe, l’identification d’un partenaire et la reproduction, etc.

Là, sous nos yeux et « sous nos oreilles », nous voilà témoins en direct d’un exemple flagrant de la problématique de la pollution sonore des océans: un endroit comme Taapuna, très fréquenté par les dauphins pour se reposer pendant une partie de la journée, l’est également par les humains pour y mener des activités produisant beaucoup de bruit et impactant très fortement l’écosystème marine. Pour s’en rendre compte, rien de tel que de « plonger vos oreilles » dans la passe de Taapuna et d’imaginer ce que vivent les dauphins du lieu.

L’escale à Tahiti a donné lieu à une bien belle rencontre entre The Ocean Mapping Expedition et certains des nombreux acteurs associatifs locaux actifs dans le domaine scientifique, environnemental ou du développement durable. Parmi ceux-ci, l’association Faafaite. Le terme veut dire « réconciliation » en tahitien. L’association, créée en 2009, oeuvre au renouveau de la navigation dite « traditionnelle », c’est à dire sans instrument. Vous avez bien lu, sans boussole ni compas ni sextant, sans parler de GPS, de radar ou d’autre équipement moderne. Rien... Et quand on parle de navigation, il ne s’agit pas de simple cabotage à la journée mais de traversées hauturières de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines!

Faafaite opère une pirogue à voile de 72 pieds (environ 22 mètres), sorte de catamaran traditionnel construit par ses soins sur laquelle ses membres effectuent régulièrement des navigations entre Hawaï et Tahiti, ou encore la Nouvelle Zélande et Tahiti. A chaque fois, quelque trois semaines en mer avec, pour tout moyen de se repérer à la surface du plus grand des océans du globe, l’observation des astres et de la houle, parfois des oiseaux dont on sait que certains retournent à terre chaque soir pour y passer la nuit. En apercevoir un de la bonne espèce, c’est donc avoir l’assurance d’être dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres autour d’une terre.

Pour découvrir cet art ancestral, l’expédition a eu le plaisir d’accueillir à bord Matahi Tutavae, ancien président de Faafaite et navigateur chevronné sur ladite pirogue. Par ailleurs journaliste et présentateur télé sur TNTV, il a profité de la présence du voilier dans la région pour embarquer quelques jours entre Tahiti et les îles australes et y réaliser différents sujets, et initier l’équipage de Fleur de Passion à ce savoir fascinant. Comme il l’explique toutefois, lors de ces grandes traversées, un seul des seize membres d’équipage dispose d’un GPS et ne le consulte qu’en cas de force majeur.

Au retour de l’expédition à Papeete après son escapade dans les Australes, début juillet, l’échange s’est prolongé à bord de la pirogue de Faafaite, amarrée au quai d’honneur pour y accueillir un groupe d’étudiants américains. L’occasion pour l’équipage de Fleur d’une rapide sortie dans la rade et éprouver un début de sensation de navigation traditionnelle. Puis d’accueillir les américains à bord de Fleur.

Merci Faafaite, et bon vent!

Pour découvrir et suivre les activités de Faafaite : www.faafaite.org / www.facebook.com/faafaite

En prévision de l’escale à Brisbane en fin d’année, il a fallu re-vérifier à toutes fins utiles la hauteur exacte du mât principal de Fleur de Passion pour s’assurer que le voilier pourrait remonter la rivière et s’approcher au plus près du centre-ville. Le mât lui-même fait 24 mètres mais la hauteur hors toute du bateau - son « tirant d’air » -, quelle est-elle? Telle était la question... A Papeete fin juin, profitant d’une halte, c’est le mousse Aïman qui s’y est collé. Hissé jusqu’en haut du mât de flèche, il s’est acquitté de sa mission avec efficacité et sans crainte du vertige, à 27 mètres au-dessus de la surface de l’eau. Cette facétie l’aura changé des « rigueurs » du bord quand le bateau est en mer. Arrivé sur Fleur mi-juin, cet ado de 17 ans, élève en dessin technique à Genève, n’a eu que peu de temps pour s’amariner et les premiers jours ont été durs. Mais avec son comparse William, l’autre mousse du bord âgé lui aussi de 17 ans, le courant a vite passé. Et à Papeete, profitant d’un morceau de vieille voile mis à disposition par l’équipage, les deux mousses se sont lancés dans la confection d’un hamac dans la plus pure tradition de la marine d’autrefois, où faute de place les marins dormaient dans de tels « lits ».

Dans les jardins du « Musée des îles » de Tahiti, à quelques kilomètres de la capitale Papeete, un petit arbre anodin passe totalement inaperçu aux yeux des quidams. D’autant plus inaperçu qu’il est un peu souffreteux ces temps... La faute paraît-il à une mouche qui sévit depuis peu en Polynésie et menace l’espèce. Il s’agit pourtant d’un arbre au nom évocateur: l’arbre à baleines! Non pas qu’il en porte, du « haut » de ses même pas deux mètres. Ni même des baleineaux. Mais voilà une de ces coïncidences de la nature qui fait rêver: quand les baleines à bosses remontent des eaux antarctiques et atteignent les eaux délicieusement chaudes de la Polynésie pour y mettre bas et se reproduire, vers le mois de juillet-août, de son nom savant Erythrina tahitensis, l’arbre à baleines perd ses feuilles et fleurit de spectaculaires fleurs jaune-orangé! Et quand les baleines repartent en fin d’année vers les latitudes australes, les fleurs tombent et l’arbre retrouve son feuillage.

En ce mois de juin, l’arbre avait toutes ses feuilles et il n’est donc pas étonnant que lors de ses premières navigations dans les îles australes, Fleur de Passion n’ait pas croisé de baleines à bosses. Il conviendra donc de guetter leur arrivée et c’est ainsi le prochain équipage, courant août, qui aura l’honneur d’en rencontrer. La mission aura entre temps pris du volume. Car il ne s’agit plus simplement d’enregistrer leur chant dans le cadre du programme 20’000 sons sous les mers, mais aussi de mener toute une palette d’autres activités en partenariat notamment avec le chercheur Michael Pool, l’un des spécialistes des baleines basé en Polynésie française depuis des décennies: observation et prise de photo de leurs nageoires à des fins d’identification; et prélèvement d’échantillons de peau morte qui flottent à la surface après que les baleines ont sauté et frappé la surface de tout leur poids en retombant, de manière également à mener des études sur les populations et leur génétique.

Parmi les nombreux autres partenaires académiques et associatifs avec lesquels elle collabore en Polynésie française depuis son arrivée, The Ocean Mapping Expedition s’est également rapprochée de l’association Mata Tohora (littéralement « l’oeil de la baleine », www.matatohora.com), qui oeuvre à la préservation des mammifères marins de Polynésie. Sur l’île de Rurutu, dans les Australes, une petite équipe formée entre autre de Yaiza, la scientifique du bord, Tevai, le représentant local de Mata Tohora, et de Matahi, le cameraman du bord, a ainsi monté une petite « expédition dans l’expédition » destinée à aller plus au large capter le chant des baleines à bosses. Mais peine perdue. A Tahiti, l’arbre a baleines disait juste et l’équipe est rentrée bredouille. Ou presque. A défaut de baleine à bosses, c’est une femelle rorqual commun et son jeune baleineau qui ont souhaité la bienvenue à l’expédition en s’approchant tout près du zodiac. Le rorqual a une fréquence de chant très basse qui rend celui-ci quasiment inaudible pour l’oreille humaine. Mais grâce à l’hydrophobe portatif, il a été possible de l’enregistrer. Un bon présage pour la suite de l’expédition dans la région.