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La dessinatrice genevoise Isabelle Pralong est la sixième à embarquer à bord de Fleur de Passion dans le cadre du programme Dans le miroir de Magellan. Après Zep, Matthieu Berthod, Tom Tirabosco, Pierre Wazem et Peggy Adam, c’est à son tour de s’immerger dans The Ocean Mapping Expedition et de nous faire vivre en mots et en dessins la vie du bord, dans l’archipel de Polynésie française.

« Départ de Genève le 16 juin à 17h. Je voyage avec Aïman, 17 ans, qui sera le deuxième mousse sur le Fleur de Passion pour les deux mois à venir. Genève - Paris - Los Angeles - Papeete. 23 heures de vol.


J'ai le grand plaisir de redécouvrir les plateaux repas dans l'avion, avec plein de petites combines à manger, on fait dînette, et surtout du champagne offert en apéritif. Je discute avec ma voisine, une marseillaise qui va tous les deux ans à Tahiti visiter son fils établi là depuis quatorze ans.

Arrivés à Papeete (enfiiiiiiiiiiin !!!) avec deux heures de retard sur l'horaire prévu, nous rencontrons JJ, le capitaine, et Inès, qui a déjà fait la traversée Valdivia - Papeete comme chef de quart. On arrive au port vers 7h00 et ils sont debout depuis 5h00 avec le café prêt pour nous accueillir. On réchauffe le café. Le reste de l'équipage arrive: Amélie, second, Yaiza, coordinatrice scientifique, Nicolas, le mécano. William, le mousse déjà sur le Fleur de Passion depuis 15 jours, 17 ans lui aussi, dort encore. Aïman repère une grande raie blanche mouchetée de noir qui passe peinard à côté du bateau, comme ça dans le port! Tout le monde se réjouit de partir le lendemain pour les îles Australes.

Direction l'île de Rurutu, connue pour être l'endroit où les baleines à bosse viennent mettre bas leurs petits baleineaux de quatre mètres après onze mois et demi de gestation. Les baleines remontent depuis l'Antarctique pour mettre bas dans les eaux plus chaudes de Polynésie. Trois jours de navigation séparent Tahiti de Rurutu. Pour ce voyage, Matahai Tutavae et Joëlle Tinomano nous rejoignent sur le Fleur de Passion. Tous deux vivent à Tahiti et sont membres de l'association Faafaite ite ao Maohi (réconciliation du monde Polynésien). Ils naviguent sur une pirogue à voile traditionnelle, en essayant de retrouver la navigation que pratiquaient les tupuna (les anciens), navigation en observant les astres, la houle... Matahai travaille pour la TNTV (Tahiti TV) comme reporter et il va filmer l'expédition.

Nous quittons le port de Papeete vers midi. La météo prévoit une forte houle. Je ne sais pas vraiment ce que ça représente, mais GLURPS. Et en effet, dès que le bateau s'éloigne de Tahiti et Moorea, ça commence à bouger sec. J'ai une vague nausée qui ne me quittera plus de toute la traversée, mais rien de bien méchant. Elle m'oblige cependant à regarder la mer constamment. Dès que je fais une autre activité pendant trop longtemps (cuisiner, laver la vaisselle, ne parlons même pas de dessiner...) ma nausée me rappelle à l'ordre en s'intensifiant et je sors rapidos sur le pont pour regarder au large en respirant à fond. Et ça marche.

Le bateau est un espace de vie très particulier. Par moment très gai et convivial, par moment extrêmement exigu et contraignant. Je le ressens comme-ci ou comme-ça suivant mon état d'esprit du moment. Heureusement pour moi, l'équipage est si prévenant et joyeux, tout le monde a une telle pêche que plus les jours passent et plus je me sens bien sur le bateau. Durant les trois jours de traversée Tahiti - Rurutu, la simple gestion du roulis incessant et de ma tyrannique nausée occupent la majeure partie de mon énergie et de mon attention. Me faire chauffer de l'eau pour un thé le matin alors que ça tangue à fond, relève quasiment de l'exploit. Et gare à ne pas poser naïvement sa tasse pleine sur la table pour aller chercher une cuillère. Au retour la tasse aura valsé. Heureusement que les bananes existent. Vite attrapées, vite pelées, vite mangées, recommandées contre le mal de mer. Des vraies petites merveilles.

La traversée se fait entièrement à la voile, le bateau file vite. L'arrivée à Rurutu est magnifique, malgré un gros grain juste au moment où l’on approche de l'île. Elle est très sauvage, foisonnante d'arbres de toute sortes. On voit quelques maisons disséminées ici et là. Après un premier mouillage extrêmement mouvementé, on tourne autour de l'île pour accoster au petit port, près du village de Moerai. Tout le monde guette attentivement dans l'espoir de voir un souffle de baleine. Mais nous n'en voyons pas. L'île compte trois villages et un petit aéroport, qui la relie à Tubuai, une île voisine, et Tahiti.

Dès que nous mettons pied à terre, nous sommes invités à manger chez une « locale », comme ils disent ici, une habitante de l'île, Lydia Teauroa. Lydia est la soeur de deux membres de l'association de la pirogue Faafaite. Ses frères l'ont prévenue de notre arrivée et elle nous attendait au port. Elle nous reçoit chez elle, dans sa maison remplie de couleurs. Son jardin est paradisiaque. Le mot est lâché, mais c'est vraiment le seul qui convient en arrivant chez elle. Elle nous commande des pizzas ( !! ) pour le plus grand bonheur des deux ados, qui en ont marre de manger autant de fruits et de légumes... On passe un après-midi génial chez elle, et le lendemain elle nous emmène, Joëlle et moi, faire tout le tour de l'île et voir les fameuses grottes de Rurutu. L'île est entourée de hautes falaises dans lesquelles se trouvent des grottes, dont une spécialement grande et accessible que l’ancien président français François Mitterand est venu visiter une fois et qui, depuis, a été rebaptisée, la grotte Mitterand. Lydia est une enseignante à la retraite qui connaît hyper bien l'île et beaucoup de ses histoires. C'est une très belle rencontre.

En la quittant j'ai en tête une phrase de Victor Segalen que je viens de lire sur le bateau: « Le divers décroît. Là est le grand danger terrestre. C'est donc contre cette déchéance qu'il faut lutter, se battre, mourir peut-être avec beauté. »

Le soir sur le bateau, Tevai, un spécialiste des baleines, membre de l'association Mata Tohora (qui veille sur les baleines), association qui s'occupe de la protection des baleines en Polynésie, vient nous rendre visite et nous raconter des histoires et des histoires de baleines. Impressionnant! Il nous confirme que c'est encore un peu tôt pour voir les baleines et qu'elles ne sont pas encore arrivées.

Plus tard, il nous propose d'aller assister à une répétition de danse du village. Sa belle-soeur est responsable du groupe des danseuses. Dans deux semaines aura lieu le grand concours de danse des trois villages. Festival très important pour Rurutu et pour lequel les habitants se préparent depuis le mois de février. Répétitions, confection des costumes en fibre de Pandanus, un arbre dont les fibres sont couramment utilisées sur l'île pour faire des tissus. Les répétitions de danse sont extraordinaires. Les chants, les percussions, les ukulélés, les vahinés qui ondulent et les hommes qui bougent comme des guerriers (certaines suites de pas me font penser au haka des Maoris). C'est très puissant et il s'en dégage une vitalité incroyable. Joëlle qui vit à Tahiti depuis longtemps et qui a vu beaucoup de danse tahitienne, me confirme que ces danses-là sont très authentiques. Je me sens vraiment chanceuse d'avoir pu assister à ça.

Le lendemain (Ndlr: vendredi 24 juin), nous partons pour Tubuai. »