Livre de bord

Tomas et Jovita sont les derniers à être partis. Ce dimanche matin 28 février à la fraîche, on les a entendus s’activer sur le pont de leur ketch mouillé à l’entrée de la marina. Le ciel était limpide,

pas un souffle d’air et les bruits portaient loin. On les a ensuite vus manoeuvrer et venir s’amarrer à l’un des pontons, chose qu’il n’avaient encore jamais faite depuis que Fleur de Passion était arrivé le 17 février. Et avant qu’on s’en rende compte, ils avaient largué les amarres et filaient déjà sur les eaux huileuses du Rio Valdivia en direction du Pacifique. Ruades dans le carré, sortie fissa sur le pont et avant qu’ils ne soient trop loin, des « au revoir » ont fusé dans à peu près toutes les langues communes possibles. Et puis des « See you in Papeete! » qu’on lance comme une bouteille à la mer. « Juan Fernandez! », a ajouté Tomas. Nom chilien de l’île de Robinson, première escale possible sur la route de la Polynésie, à une semaine de navigation.

Tomas et Jovita étaient attachants. Deux ans déjà que ce couple de Lituaniens bourlinguait en Patagonie après y avoir descendu leur voilier acheté à Gdansk, en Pologne. Chaque après-midi avec leur youyou, ils quittaient le bord et prenaient leurs quartiers dans la minuscule cahute du club nautique pour profiter du wifi et s’entretenir de longues heures durant avec leurs proches, à l’autre bout du monde, dans cette drôle de langue qui n’offre à nos oreilles aucun point de repère. En ce dimanche limpide, ils sont donc les derniers à avoir quitté la marina. Dernier des quatre couples d’Européens, tous attachants à leur manière, que l’équipage à rencontrés à son arrivé voilà environ deux semaines. La veille, ce sont Collin et Ana, lui Anglais et elle Australienne, les deux d’Aberdeen en Ecosse, qui avaient pris le large. Mais direction le détroit de Magellan et l’Europe, après un périple depuis le Panama, où ils avaient acheté leur voilier, jusqu’en Nouvelle-Zélande. Les « au revoir » avaient été plus expansifs. Leur Ovni 43 était au ponton juste à côté et quand est venue l’heure du départ, tout l’équipage de Fleur était à leur bord pour une dernière étreinte, un dernier conseil sur les bons plans du détroit.

Quelques jours auparavant, ensemble, c’était Sören et Vilma, des Suédois, et Martin et Helga, des Hollandais, chacun sur leur 40 pieds, qui avaient donné le signal. Direction la Polynésie française, comme Tomas et Jovita. Avec eux aussi, les « See you in Papeete » avaient été de rigueur, la destination de Fleur quand elle quittera à son tour Valdivia début avril.

Dès l’arrivée de l’expédition à la Marina Estancilla, leur curiosité les avaient conduits sur le ponton qui surplombe le bateau à marré basse. Et l’invitation n’avaient pas traîné: « Rendez-vous samedi soir 19h pour une visite à bord ». Ecoute attentive des explications sur ce qu’un voilier suisse peut bien faire sur les traces de Magellan; visite de la salle des machines devenue « the place to be » tellement elle durera longtemps; questions pointues de marins aguerris; et puis ce long moment passé sur le pont à échanger sur les parcours et les destinations respectives: dès que les vents s’annonceraient favorables pour Martin et Helga, Sören et Vilma; dès qu’ils auraient réglé un problème de pièce de rechange pour Tomas et Jovita; ou que l’humeur les y déciderait, pour Collin et Ana.

Bon vent à tous, et à bientôt à Papeete pour les uns, ailleurs sur le globe pour les autres.