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Visite du laboratoire où sont analysés les plastiques du programme Micromégas. Tandis qu’en ce mois de décembre, dans les méandres patagoniens du détroit de Magellan,

Fleur de Passion poursuit ses prélèvements d’eau de mer dans le cadre du programme Micromégas sur la pollution plastique, à des milliers de kilomètres de là, dans un laboratoire de Lausanne, l’association Oceaneye partenaire du programme fait analyser les échantillons rapportés par l’expédition pour en extraire les informations qui serviront à comprendre l’ampleur et la nature précise du phénomène. Du moins en ce qui concerne les eaux de surface sur la route de The Ocean Mapping Expedition.

Plus d’une vingtaine de ces échantillons ont été réalisés depuis le départ de Séville en avril dernier. Au gré des escales, de nouveaux sont régulièrement envoyés en Suisse au fur et à mesure de leur récolte. C’est le fruit de ces premiers prélèvements qui, pour la première fois, se donne ici à voir: de minuscules particules de plastiques qu’extraites de leur contexte, on trouverait pour certaines presque aussi jolies que des perles! Pascal Hagmann, directeur d’Oceaneye, nous fait visiter le Laboratoire Central Environnemental de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), où les analyses commencent par un rinçage du contenu des sachets et se terminent par la spectrométrie infra-rouge des particules de plastiques, quand il y a en. Et il y en a, hélas…

Mais commençons par un rapide retour en arrière à bord de Fleur de Passion. Une fois qu’un prélèvement a été effectué par l’équipage, le contenu de la « chaussette » - ce filtre de la taille d’un avant-bras trainé tout au bout d’un filet derrière le bateau selon un protocole précis - est vidé dans un sachet dans lequel est ajouté du sel avant d’être mis sous vide. A ce stade, ce contenu contient aussi bien de la matière organique que plastique. Ce sont ces sachets qui, à périodicité régulière, sont envoyés en Suisse à Oceaneye pour analyse, ou rapportés par tel ou tel membre d’équipage au gré des rotations.

Rinçage, tamisage, triage
Arrivés au laboratoire, les sachets sont confiés à l’un ou l’autre des chimistes - ce jour-là c’est le jeune civiliste Loïc Ory qui nous reçoit -, qui commence par les rincer et les passer au triple tamis afin de séparer leur contenu en trois groupes selon leur taille. La première grille permet de séparer les mésoparticules (dont la taille est supérieure à 5mm) des microparticules. La grille suivante retient les particules supérieures à 1mm. Quant à la troisième grille, on y viendra plus tard…

Les particules retenues par les deux premiers tamis sont récupérées, identifiées soit à l’œil nu pour les premières supérieures à 5mm, soit au microscope pour les secondes de 1 à 5mm, puis triées et séparées manuellement : matière organique et plastiques. Aussi long et fastidieux soit-il, ce processus de tri permet, une fois la matière séchée et pesée, d’établir un ratio entre matière organique et matière plastique et d’obtenir des résultats chiffrés quant à la quantité de matière plastique par m3 d’eau. Toutes ces particules sont minutieusement rangées dans de petites boites rondes transparentes dans lesquelles cette triste moisson des mers livre ses formes, ses couleurs. Et bientôt sa « nature », si l’on ose parler ainsi pour ces résidus de l’industrie chimique…

Afin de déterminer la composition de ces détritus plastiques, l’équipe d’Oceaneye soumet ensuite individuellement chaque particule à l’oeil acéré d’un spectromètre. Chaque type de plastique produit en effet un signal d’absorption différent : les différents pics visibles à l’écran donnent à chaque composé chimique une véritable signature qui permet de reconnaître la composition de la particule analysée, par comparaison avec les signaux des différents matériaux enregistrés dans la base de données. Parmi les échantillons récoltés et analysés jusqu’ici, la grande majorité des particules sont composées à plus de 95% de polyéthylène ou de polypropylène.

Des enzymes plutôt que des solvants
S’agissant des particules plus petites retenues par la troisième grille du tamis, d’une taille inférieure à 1mm et supérieure à 300 micromètres (en réalité 330 micromètres, qui est la taille de la maille de la « chaussette »), elles ne peuvent pas être identifiées et triées manuellement pour d’évidentes questions de temps, la tâche serait tout simplement colossale! Il s’agit donc de les peser, puis de faire disparaître tout ce qui n’est pas plastique. La nouvelle pesée permettra de déterminer la quantité de matière organique disparue.

Jusqu’à présent, cette séparation finale se faisait au moyen d’une digestion chimique. En forte concentration, ceux-ci étaient néanmoins susceptibles de dissoudre ou d’endommager le plastique, ce qui pouvait potentiellement fausser les résultats. Il fallait donc employer des concentrations faibles mais à faible dose, ces solvants prenaient un certain temps pour faire leur travail de décomposeurs de matière non-plastique, limitant ainsi la quantité d’échantillons pouvant être analysés. Or avec le programme Micromégas, ce sont des dizaines, voire des centaines, d’échantillons qui allaient être collectés tout au long des quatre ans autour du monde. Avec un risque évident de saturation des ressources du laboratoire et de ses équipes.

Une nouvelle méthode d’analyse
Face à ce défis, les chimistes d’Oceaneye ont donc eu l’idée d’expérimenter un nouveau procédé permettant de supprimer la matière organique plus rapidement et sans que la qualité et la précision des résultats ne se trouvent affectées. Les quinze premiers échantillons récoltés par The Ocean Mapping Expedition entre Séville et Salvador de Bahia au Brésil d’avril à juin ont ainsi servi de cobayes.
Pour cette nouvelle méthode d’analyse, différents enzymes (lipidases, protéases, amylases, chitinases et cellulases) ont été utilisés pour digérer la matière organique.

Plongées dans leur bain de « ases », les particules récoltées sont alors mises en agitation dans un incubateur qui permet de régler la température optimale pour une bonne digestion. A la sortie de ce tube digestif en bocal, les particules restantes sont des particules plastiques débarrassées de toute matière parasite. A ce stade, cette nouvelle méthode en phase de rodage paraît prometteuse. Elle va donc être déployées sur l’ensemble des échantillons collectés, qui livreront leurs secrets progressivement. Affaire à suivre…