Livre de bord

L’arrivée officielle de The Ocean Mapping Expedition aux Philippines, en ce mardi 19 décembre 2017, ne pouvait faire l’économie d’un mouillage d’un genre très particulier: dans la Baie de… Magellan! Sur la côte Nord de l’île de Mactan, à quelques encablures du double monument très couru des locaux aussi bien que des touristes célèbrant aujourd’hui à la fois l’arrivée du christianisme dans le pays que la résistance du chef de l’île de l’époque, Lapu-Lapu, aux velléités de conversion de Magellan. A l’endroit - feu la plage, aujourd’hui une mangrove - où le navigateur fut tué dans un combat contre les insulaires récalcitrant, en avril 1521.

C’est donc là que le 18 décembre au soir, Fleur de Passion est allé passer la nuit sur les eaux calmes de la baie, au large d’une fine bande de terre hérissée de quelques constructions dressées vers le ciel et témoignant clairement d’autres velléités, plus contemporaines et immobilières celles-là… La lagune qui se découvre à marée basse est le terrain de jeu de pêcheurs à pied qui y ramassent coquillages et crustacées. Quelques fines pirogues à balanciers attendent la marée haute pour reprendre du service. Le temps de hisser un peu de toile dans la baie malgré le peu de vent, de faire mouvement vers le Yacht Club de Cebu, et le bateau a refait son entrée dans le minuscule bassin pour une arrivée officielle en présence de l’ambassadeur de Suisse aux Philippines, Andrea Reichlin, et du maire de Lapu-Lapu, Paz Corro Radaza.

Référence pour référence à Magellan et donc au christianisme - même si The Ocean Mapping Expedition n’a clairement pas de velléités en la matière, faut-il le rappeler -, cette arrivée officielle en présence du Maire de Lapu-Lapu a été l’occasion pour l’équipage de recevoir des mains de l’ambassadeur un « Santo Niño de Cebu », une statuette de l’enfant Jésus comme chaque bateau participant à la parade navale du Sinulog en embarque un, le troisième weekend de janvier. Et à laquelle Fleur de Passion aura le privilège de participer, le 20 janvier prochain. La statuette de style très baroque rappelle celle que Magellan aurait remise au souverain de Cebu, lors de son arrivée dans l’île. Elle trône désormais à bord, pour l’heure sagement posée à côté de la barre avant que l’équipage ne convienne de l’endroit le plus approprié pour qu’elle veille désormais sur la suite de l’expédition.

Pour certains des membres du bord, c’est bientôt la fin: pour Sébastien le skipper et pour Tim l’un des ados du programme Jeunes en mer, à bord depuis plus de trois mois en ce qui le concerne et qui rentreront en Europe en fin de semaine. Pour les autres - Amélie qui reprend la barre comme skipper, Camille qui passe second, Stephan le troisième membre d’équipage, les deux mousses Manon et Jonas et leur accompagnateur Kader -, elle continue jusqu’à fin janvier.

Avec l’arrivée de l’expédition à Cebu aux Philippines, le 8 décembre 2017, c’est la première fois depuis le départ d’Honiara aux îles Salomon début septembre que le bateau peut faire une escale à quai de plusieurs jours. Plus que les quelques heures dédiées à des formalités d’entrée dans un pays, de sortie, ou à l’accueil d’officiels, comme à Manado en Indonésie. En l’occurence, l’escale à Cebu puis surtout Mactan durera jusqu’au 20 janvier 2018, incluses deux semaines de navigation dans la région début de l’année prochaine. Depuis des mois, c’est donc la première fois véritablement que l’équipage peut entreprendre la foule de travaux de maintenance dont Fleur de Passion est continuellement l’objet, gage de sa bonne tenue en mer et de sa pérennité.

Dimanche matin 10 décembre, par exemple, au quai du port de commerce, l’équipage a pu bénéficier d’un raccordement à l’eau courante et procéder à un gros nettoyage du pont. Les 11, 12 et 13, on attaque le démontage des râteliers en bois pour procéder au traitement anti-rouille des supports métalliques, le piquage des points de rouille des jambettes, ces pièces métalliques qui soutiennent le pavois courant tout autour du bateau, la peinture des coffres, de la coque, etc.

Au-delà des enjeux d’entretien, il s’agit aussi de préparer le bateau et de le faire beau pour les différents événements dont il sera le cadre sur l’île de Mactan, là même où Magellan trouva la mort en avril 1521 lors d’une bataille contre les troupes du roi local d’alors, Lapu-Lapu. On y reviendra. Et dans cette ambiance de chantier qui voit vite le pont transformé en atelier à ciel ouvert, Manon, Tim et Jonas, les trois ados du programmes Jeunes en mer sont de la partie, maniant qui le pinceau, qui la perceuse, qui la dévisseuse. Le temps couvert et les pluies quasi incessantes qui inondent l’île bientôt obligent à des stratégies pour que les travaux avancent quand même.

Et les travaux avancent! Grâce aussi aux innombrables ressources, conseils, contacts fournis par Pascale, qui dirige depuis plus de douze ans à Cebu une agence de plongée, Sea Explorer. Elle son collègue Dennis, lui-même de Cebu, connaissent tous les fournisseurs possibles et imaginables pour trouver des pièces détacher, faire faire une réparation, etc. Par leur générosité et leur spontanéité enthousiaste, ils rejoignent ainsi la liste de ces personnes ressources croisées en différentes occasions et auxquelles l’expédition doit tant. Qu’ils soient ici remerciés chaleureusement!

Toujours est-il que Cebu, c’est parti! Après de premiers travaux de maintenance, le voilier a fait mouvement vers le yacht club situé sur l’île de Mactan, où il est attendu le 19 décembre pour un accueil officiel de la part de l’ambassadrice de Suisse aux Philippines.

Après son départ de Manado en direction de Palau et avant même d’arriver sur ce petit confit perdu au milieu de nulle part sur la route des Philippines, l’équipage avait repéré une inquiétante dépression en train de se former, quelque part à l’Est. Les prévisions annonçait du lourd, mais c’était compter sans les mystères de la nature et les tendances parfois… dépressives de certaines dépressions.

« Depuis Manado en Indonésie, il avait été décidé de rejoindre Cebu, aux Philippines, en effectuant un contournement très au large par l’Est de l’île de Mindanao. Tristement réputée pour son instabilité et les risques sécuritaires, elle ne donnait pas franchement envie de provoquer le destin en longeant ses côtes de trop près. Aussi avions-nous mis le cap au Nord-Est en direction de Palau, minuscule archipel vers lequel nous attirait par ailleurs la perspective d’une pause et de mouillages propices à un peu de snorkeling dans un décors de carte postale.

Sauf qu’à mi-chemin, il a bien fallu se rendre à cette très regrettable réalité: les fichiers météo reçus par satellite annonçaient une dépression en train de se former au Sud-Est de l’île, synonyme de très mauvais temps, de mer mauvaise et de vent de face à brève échéance. Alors qu’à cette saison et à cette latitude (7° Nord), nous pensions profiter tranquillement des alizés du Nord-Est qui nous auraient portés vers les Philippines. C’est dans cette ambiance de soucieuse vigilance météorologique qu’au petit matin du 1er décembre 2017, nous faisons notre entré dans l’étroit chenal menant au quai où doivent se faire les formalités d’entrée dans cette République indépendante.

Le lendemain, dans les messages du matin reçus de Genève, nous lisons la confirmation que la dépression s’annonce effectivement sévère, avec risque cyclonique, et qu’elle va passer sur Palau dans quelques jours prochains. Pas bon du tout… A bord, l’équipage se réunit en cellule de crise et décision est prise de reprendre la mer le plus vite possible. Une partie de l’équipe s’en va dare-dare en ville faire un rapide avitaillement et compléter les provisions trop limitées pour tenir jusqu’aux Philippines. Et la procédure de sortie du pays est agendée pour le lendemain 3 au matin.

Une fois l’avitaillement terminé, sur le coup des 14h30, c’est le départ pour Ulong Channel, réputé comme l’un des plus beaux, à une dizaine de miles. Nous y mouillons et y passons la nuit dans un climat de poisseuse tension liée à la météo et de profonde déception de devoir quitter si précipitamment un endroit absolument sublime, pour ce que nous parvenons à en apercevoir. Le lendemain dès 8h, nous sommes de retour à quai en ville pour faire les papiers de « clearance ». L’occasion de se faire gentiment racketter par des fonctionnaires peu compatissant. Et sur le coup des 11h, nous voilà repartis la mort dans l’âme et la dépression aux trousses.

Le dernier bulletin météo nous annonce qu’elle est vraiment très grosse, à quatre jours quelque part à l’Est, pas très clairement située d’ailleurs, ce qui ajoute à la tension, et même si à Palaos, nous n’avons pas d’air et qu’il nous faut attendre le soir pour envoyer un peu de toile: GV, artimon et voiles d’avant. Etrange ambiance, climat d’incertitude lourd de menaces car il ne s’agit pas de traîner.

Le 6 décembre au matin, à 48h de notre arrivée prévue à Cebu, soit à mi-chemin, ô surprise! Les fichiers météo nous informent que la dépression a finalement… disparu! Elle s’est tout simplement volatilisée, désagrégée, comme cela arrive parfois… A bord, même parmi les marins de l’équipage, c’est la première fois que l’on vit pareil phénomène: 120 noeuds de vent annoncés (240 km/h) et puis plus rien! Moment d’incrédulité et d’incertitude dans une de ces régions où tout peut arriver et où les prévisions peinent parfois à situer précisément le départ d’une dépression, comme c’était le cas. Car si elle a pu disparaître si vite, quelle est la probabilité qu’elle réapparaisse subitement là où on ne l’attend plus?

Malgré la déception redoublée d’avoir raté Palaos pour rien, le genre d’endroit au monde où l’on ne reviendra jamais, un certain soulagement est quand même perceptible à l’arrivée à Cebu le vendredi 8 décembre en fin d’après-midi. Cette arrivée au port international se fait à la fois juste avant la fermeture des bureaux de l’administration et si proche de cette même fermeture que l’on craint un instant que les formalités d’entrées ne puissent se faire que le lundi. Ô miracle, une délégation administrative - quarantaine, médecin, douaniers - se constitue malgré tout et arrive à bord vers les 19h. Moment d’intense doute chez des fonctionnaires que l’on sent très tentés par l’appel du weekend. Mas heureusement, l’atmosphère étouffante de chaleur et d’humidité qui les accueille dans le roof semble pleine de vertus insoupçonnées et, second miracle, décide douaniers, personnels de l’administration sanitaire et de la quarantaine à expédier les formalités en un temps record… Quelques photos de groupe sur le pont mettent même un point final à la procédure d’entrée aux Philippines, juste récompense après les touffeurs paperassières du roof… »